Deuxieme partie de la correction du livre
mars 17, 2009 dans Mes articles par amadoukonta
la route de la souffrance
J’ai donc choisi la route de l’Europe, mais autrement puisqu’on me refuse le visa. Avant de partir j’étudie la carte du monde avec application. Il faut donc aller jusqu’au Maroc pour atteindre la frontière espagnole. Mais quel chemin prendre ? Personne ne peut ou ne veut me renseigner clairement, la seule chose sur laquelle tout le monde est d’accord c’est que je m’engage sur un chemin de souffrance. Mais je veux vraiment partir, je ne veux plus entendre les mises en garde de certains de mes proches. Je ne demanderai plus rien, je ne parlerai plus de mon projet, je ne veux pas que l’on me décourage. Je vais donc partir seul, sans rien dire à personne , pas même à mes parents qui essaieraient sans doute de me retenir.
Ma route commence à Dakar, de là je prends le train pour le Mali où je rencontre un compatriote qui a le même projet que moi. Arrivés à Bamako, comme nous n’avons aucun point de chute, nous cherchons une mission sénégalaise. On nous indique la maison d’un célèbre marabout sénégalais originaire de Touba, une ville sainte de Sénégal où naquit le grand marabout Check Amadou Bamba. Au nom de Dieu et de la religion, beaucoup offre des repas gratuitement à notre hôte qui accepte de nous loger durant trois mois.
Il faut donc que je m’organise afin de quitter le Mali pour l’Algérie. Mon passeport sénégalais n’est valable qu’avec un visa pour entrer en Algérie. Renseignements pris, on m’indique une personne qui moyennant une somme d’argent me fournit un passeport malien. La double nationalité en poche, à une semaine du délai de trois mois que m’avait accordé le marabout, je prends congé de mon hôte qui me souhaite bonne route sans rien me demander pour m’avoir hébergé.
Je prends l’autobus pour Gao, la dernière grande ville malienne avant la frontière algérienne, puis une petite voiture jusqu’à Kidal où je vais prendre un 4*4 pour traverser le Sahara jusqu’à Tamanrasset en Algérie.
C’est à Kidal que commence la route de la souffrance. Les 4*4 qui traversent le désert ne transportent que des immigrants comme moi. Assis les uns sur les autres, les mains agrippées à une cordelette au centre de la voiture, nous sommes vingt-cinq personnes dans une petite Land-Rover conduite par un chauffeur arabe qui connaît très bien le désert. Nous roulons quatre jours avec seulement cinq litres d’eau, quatre boîtes de sardines et trois pains. Le chauffeur nous avertit que celui qui tombera sera laissé là sans secours, il faudra donc bien s’accrocher pour ne pas mourir. Le chauffeur roule sans se soucier de nous, à ses yeux nous ne sommes que des animaux qu’il transporte pour gagner de l’argent. Toutes les neuf heures la voiture s’arrête, certains d’entre nous ne peuvent même plus marcher, leurs membres sont paralysés par les heures entassés sans bouger dans la voiture. Pendant ce temps de pause destiné au repos du chauffeur, il nous est interdit de parler et de bouger jusqu’à ce qu’il décide de repartir. Le cinquième jour nous sommes arrivés à Tamanrasset sans être inquiétés par les gardes frontière algériens. Deux solutions s’offrent à moi : prendre un autre 4*4 pour repartir dans le désert jusqu’à Oran ou alors le bus pour aller travailler dans les champs à Ghardaïa. Comme je n’ai plus d’argent je me dirige vers Ghardaïa. Une fois arrivé je cherche le ghetto des Sénégalais dans la brousse car je ne verrai plus un seul noir logé en ville jusqu’en Espagne. A Ghardaïa il n’y a pas de contrôle pour les immigrants, je trouve du travail dans les champs pour la récolte du raisin et des tomates pendant deux mois pour un salaire de cinquante Euros par mois. Puis je travaille comme journalier pour cinquante centimes ou un Euro de l’heure afin d’avoir assez d’argent pour rejoindre Maghniya une ville plus proche du Maroc où d’après ce que l’on m’a dit je peux trouver du travail.
Je reprends donc la route vers Maghniya. A mon arrivée, je découvre dans la brousse un endroit seulement habité par des noirs qui ont arrêté ici leur chemin pour créer un gouvernement avec un président, une armée, des ministres … Leurs lois sont incroyables ! Ils kidnappent d’autres migrants qui veulent atteindre l’Europe et les séquestrent jusqu’à ce qu’ils leur donnent de l’argent, certains meurent parce qu’ils ne peuvent pas payer. Ma situation est de plus en plus difficile, je reste là car je n’ai pas d’argent pour payer le gouvernement. Chaque jour je vais au village pour mendier de quoi manger. Je suis désespéré, il m’arrive souvent de penser à rentre à la maison mais refaire le chemin à l’envers sera aussi difficile que pour venir. Comment sortir de cette galère ? Je passe mon temps à y réfléchir ou à pleurer devant mon impuissance. Je finis par obtenir un travail pour la cueillette des pastèques. Je travaille chaque jour de 8h à 18h pour cinquante Euros par mois (les tarifs sont donc partout les mêmes dans le pays) et le soir en rentrant je passe de maison en maison pour demander à manger car je n’ai pris aucun repas de toute la journée.
J’ai vécu onze mois ainsi avec la peur d’être attrapé par la police qui vient régulièrement nous déloger pour nous reconduire à la frontière .
Avec la petite somme d’argent que j’ai réussi à gagner je décide d’aller maintenant vers le Maroc. En compagnie de quelques personnes qui connaissent le chemin, je quitte Maghniya le soir vers 20h afin de ne pas être vu par la police. Après avoir traverser des canaux de déchets, la boue des plantations, j’arrive à la frontière marocaine à 4h du matin. Là un petit jeu de « ballon » s’organise entre les militaires des deux pays qui nous renvoie d’un côté et de l’autre de la frontière. Finalement nous entrons au Maroc. Sales comme des soldats au retour de la guerre car nous avons rampé couru…toute la nuit, il faut à tout prix entrer dans la ville avant le réveil des habitants qui risquent de nous dénoncer à la police qui nous reconduirait à la frontière. Arrivé à Oujda, je me dirige vers l’université où se trouvent des étudiants de tous les pays d’Afrique noire. Grâce à ces étudiants les immigrants sont logés derrière les classes à l’air libre munis de couvertures noires distribuées par Médecins Sans Frontière. Nous sommes là plus de 400 avec le même objectif : l’Europe. Je suis seul, je ne connais personne, je décide de m’asseoir adossé contre un mur pour le reste de la nuit.
Le jour levé, je décide de partir pour Rabat car on m’a dit qu’il y avait là-bas Sambou un garçon qui vient de Diana, un village voisin du mien au Sénégal. Pour arriver à Rabat j’ai plusieurs solutions : marcher à pied pendant un mois, prendre le train ou l’autobus avec des faux papiers ou payer quelqu’un qui négociera mon passage avec la police. Je choisis de payer un négociateur et je monte dans le train pour une nuit de voyage jusqu’à Rabat.