La trahison de Sambou
mars 18, 2009 dans Mes articles par amadoukonta
Sambou vit au Maroc depuis sept ans, il fait entre de immigrants en Espagne, il va pouvoir m’aider. Il devient mon « Tia Man » c’est à dire mon passeur. Je lui donne l’argent que j’ai gagné en Algérie afin de payer mon passage. Il m’informe que je passerai en pirogue pour rejoindre Las Palmas. A ce moment là, j’ai confiance, je ne devine pas que Sambou qui n’a jamais lui même réussi son entrée en Europe gagne sa vie avec des gens comme moi. Après avoir empoché mon argent il me dit qu’il est trop dangereux de rester en ville sans papiers. Je pars donc sur ses conseils m’enfermer dans une chambre avec trente autres personnes dans le quartier de Kharria. Personne ne peut sortir de cette chambre excepté le responsable « tranquillo » qui peut aller faire des achats. Les conditions de vie sont épouvantables, bien pires que dans une prison. Nous sommes tous manipulés, chaque jour on nous promet de partir mais rien n’arrive. Sambou ne va pas me conduire en Espagne, il doit seulement faire l’intermédiaire avec les passeurs. Maintenant, mais trop tard, je comprends qu’il a profité de moi pour gagner de l’argent. D’ailleurs il refuse de me rencontrer et même de me parler au téléphone.
Après un mois d’enfermement, les passeurs décident de préparer un convoi qui partira de Layoune. Comme je commence à leur poser problème, ils décident que je ferai partie du voyage. Cinq par cinq on nous amène prendre un bus en direction d’Agadir avec le numéro de téléphone d’un autre « Tia Man » (passeur) qui nous attend là bas. Chacun s’assoit seul pour ne pas éveiller les soupçons des autres passagers. J’arrive à Agadir à trois heures du matin mais par peur de la police mon « Tia Man » ne m’attends pas, par téléphone il me demande de prendre un taxi auquel il indique le point de rendez- vous. Après avoir payé le chauffeur je le rappelle pour prévenir de mon arrivée, je l’aperçois il me demande de le suivre de très loin jusqu’à une maison dans laquelle j’entre un peu après lui. Je suis de nouveau enfermé avec une vingtaine de personnes, nous ne pouvons rien faire à peine nous parler nous passons donc nos journées à dormir. Au bout d’une semaine, comme nous sommes assez nombreux pour remplir les 4*4 nous nous préparons à quitter Agadir pour Layoune en passant par le désert. Nous avons besoin de provisions pour le voyage et une fois de plus comme nous sommes enfermés les passeurs en profitent pour multiplier les prix mais nous n’avons pas d’autre choix que d’accepter. Une fois prêts, nous sortons trois par trois de la maison pour aller à pied chargés de nos sacs jusqu’à la voiture qui nous attends à l’entrée de la brousse. Nous devons attendre allongés à terre le signal pour monter dans la voiture. Une petite lumière s’allume, c’est le signal, il faut courir avec nos sacs jusqu’à la voiture, les premiers arrivés auront les meilleures places. Nous sommes assis les uns sur les autres, sur nos provisions, attachés avec une bâche pour ne pas être vus par la police. Quatre jours de route avec une pause toutes les six heures. A chaque arrêt nous changeons de voiture jusqu’à la dernière étape où l’on doit attendre l’appel du passeur qui s’occupe des pirogues. On nous dépose dans une grotte avec trois bouteilles d’eau et le reste des provisions que nous avons acheté à Agadir. Abandonnés dans cette grotte, nous vivons comme des animaux, sans se laver, nous dormons la journée et allumons un feu le soir pour se réchauffer car les nuits sont fraîches. Nos provisions diminuent et le passeur ne vient qu’une fois par semaine pour nous ravitailler. Un mois s’écoule dans ces conditions jusqu’à ce que l’on vienne nous chercher pour rejoindre l’endroit où se trouvent les pirogues. Après cinq heures de route nous trouvons les pirogues et le matériel pour les préparer avant de les mettre à l’eau ( mastique, peinture, moteur..). Nous travaillons la nuit, les passeurs frappent avec des bâtons ceux qui ne travaillent pas assez vite. La préparation achevée, nous chargeons les pirogues sur les voitures et on nous conduit jusqu’à un cours d’eau qui débouche sur l’océan et au bout l’Espagne…
Naïfs, nous embarquons et après 200 mètres de navigation il n’y a plus d’eau et plus de passeurs non plus. Nous sortons de l’eau trempés, sans chaussures (les passeurs les ont prises avant le départ). Nous nous installons en haut d’une montagne sans nourriture dans le froid de la nuit et nous allons rester ainsi. Après deux jours, un berger passe par là pour mener boire ses chèvres, nous le suivons, il s’enfuit abandonnant ses chèvres. Nous suivons les chèvres jusqu’à l’endroit où elles vont boire et nous buvons aussi. Après quelques heures arrive la police avertie par le berger, cette fois nous sommes contents la voir. Les policiers nous conduisent à Layoune dans la prison des immigrants où nous nous lavons et attendons les ordres. Dans la prison, je rencontre des Sénégalais qui m’expliquent comment fonctionne tout le système de passage de la frontière , maintenant je suis bien renseigné.
Après une semaine de prison, la police nous reconduit à Oujda à la frontière algérienne, trois jours de route sans presque aucun arrêt.
Arrivés à Oujda en plein milieu de la nuit, des militaires nous amènent à pied jusqu’à la frontière. Nous commençons à parler fort pour être entendu par les Algériens, les militaires marocains se replient et ceux qui veulent repartir entrent en Algérie, les autres dévient leur chemin pour rester au Maroc.
Je suis donc revenu à Oujda et je vais repartir pour Rabat.