Notre « Las Palmas-Dakar »

décembre 26, 2008 dans Des Nouvelles de Miss Terre par Eric

Notre arrêt aux Canaries s’est prolongé plus que prévu.

En cause : notre enrouleur et surtout son livreur… Contre-temps certes, mais pas du temps perdu, puisque cette halte sur les pontons de Las Palmas nous a permis de rencontrer Nora et Max, dorénavant embarqués à bord de Miss Terre comme équipiers, mais aussi dans le projet Miss Terre, en tant qu’explorateurs ! Première aventure commune : la navigation entre Las Palmas et Dakar.

7 jours de vent et de mer pour rencontrer la vie en mer et se rencontrer !

 

 

Samedi 12 décembre, nous larguons les amarres de Mamour et de Nuage, qui se mettent en route vers le Cap Vert. Voir partir les autres, rien de tel pour nous motiver à mettre le dernier gros coup pour être prêts nous aussi à mettre les voiles pour Dakar. Pendant qu’Igor et Diane terminent ce qu’ils ont à faire « connectés » au Sailor’s bar, Nora et Max se partagent les petites courses manquantes et autres détails du bateau. Dimanche, un dernier gros coup, et c’est fin prêts que lundi matin nous lançons des regards noirs aux nuages qui ne le sont pas moins sur les sommets volcaniques de l’île. Il va falloir viser un « entre-deux-grains » pour partir. Vers midi, c’est l’éclaircie, et c’est donc très excités que mettons les voiles, flanqués de Vanguard, avec Romuald, Fanny et leurs trois enfants à bord. C’est la première fois que nous naviguons en convoi. L’essai précédent (Rabat-Graciosa) avait été avorté par quelques déferlantes dès la sortie du port. La vue de Miss Terre en travers des lames avait dissuadé Nuage de nous suivre ! Cette fois, il n’en est rien, Vanguard et son équipage lyrico-familial nous attend patiemment dans l’avant-port pendant que nous rangeons pare-battages et annexe. Cette fois, ça y est…A nous l’Afrique !

Et vivement l’Afrique d’ailleurs : mer houleuse et mer du vent, avec un bon 6 beaufort et des grains menaçants.

Au moins le ciel orageux permet-il de prendre de belles photos de Vanguard, sous tous les angles !

Espérons qu’on puisse bientôt en mettre de Miss Terre prises par eux !

Les communications par VHF s’installent. Les nouvelles passent de l’un à l’autre. Un dernier bisou par radio aussi à Guy et Noémie, qui partiront seulement demain à bord de leur Primadona tout rouge.

A bord de Vanguard tout semble aller pour le mieux étant donné les circonstances très mouvementées. A bord de Miss Terre, les estomacs et les griffes de chien s’accrochent. Le mal de mer s’insinue en arc-en-ciel : Max passe du hâlé au blanc, du blanc au jaune et du jaune au vert… Comme il est exclu de se laisser avoir sans combattre, il met le paquet : douches d’eau froide, tours du bateau en courant, « A la claire-fontaine » à deux voix et « Frère Jacques » en canon.

Ce n’est qu’après une âpre lutte et toutes les ritournelles possibles qu’il finit par s’avouer vaincu. Le reste de l’équipage s’accroche tant bien que mal. Comme on l’a dit à tous ceux qui voulaient bien l’entendre : le mal de mer finit toujours par passer! Ce n’est qu’une question de temps ! C’est donc sur cette note optimiste, avec Max au lit, que nous entamons notre première nuit sur un océan houleux. En attendant le manioc et les patates douces, à nous le stoemp aux épinards !

Première nuit secouée pour tout le monde, et notamment Max qui passe par tous les stades du fameux mal, jusqu’aux tremblements et insomnies. Péniblement je lui fais avaler un porridge lorsqu’il se lève vers 4h du matin, histoire de plâtrer un peu son œsophage torturé. Alors qu’il s’affale pour trouver enfin un peu de repos dans le fond du cockpit, je partage en toute discrétion un peu de mon stoemp avec les poissons… décidément, moi qui n’avais jamais eu le mal de mer, me voilà servie ! Pour les états contemplatifs au clair de lune, on reviendra. Il s’agit pour l’instant de garder les yeux ouverts et de lutter tant que possible contre les nausées insidieuses qui laissent parfois à peine le temps de se retourner. Enfin, je me suis laissé dire que ça passait de toute façon…

Le jour 2 est celui des améliorations : le mal de mer devrait se tasser, ainsi que le vent et la houle. Si Max finit par retrouver un peu de couleurs (autre que le vert), je reste quant à moi aux aguets: inutile d’espérer vivre «chez moi», à l’intérieur du bateau. Je me retrouve à chaque fois la tête par-dessus bord en contact étroit avec les poissons. Nora et Igor semblent tout à fait au point. Tamam, elle, s’occupe du spectacle : rien de plus drôle que de la voir glisser, sans espoir d’arrêter la chute, du four au pied de la table à cartes. Quand ça gîte, elle se crispe. Quand elle se crispe, elle sort les griffes…et quand elle sort les griffes, elle glisse ! Comme ça gîte tout le temps, elle évite très vite de circuler ailleurs qu’entre notre cabine et le cockpit.

La vie à bord s’organise. Notre superbe filet à fruits fait bien son office, et retient tranquillement pommes et oranges qui auraient des velléités de fugue. Petite soupe de lentilles à midi histoire de nous caler. Même Max en mange, et termine l’après-midi à la barre. Fin de journée, il semble avoir vaincu le mal (le veinard !). Le vent n’est pas encore tombé, la houle non plus, mais tout doucement, on s’y fait et le bateau est lui ravi sur cette mer qui n’entrave pas son allure. Ça se confirme, à force de vent égale, on gagne plus d’un nœud par rapport à la méditerranée ! A ce train-là, on arrivera dimanche…

Jour 3. Au petit matin, Max appelle très calmement Igor: «Dis Igor, il y a un très gros bateau derrière, c’est normal ?». Calme très contrasté avec le cri d’effroi d’Igor «Mais qu’est-ce qu’il fout ce c … ???». Un cargo semble apparemment tout près, en plein sur la route de Miss Terre. Tout de suite Igor se met en contact radio : «Annabel Destiny, Annabel Destiny, Annabel Destiny, this is SY Miss Terre. I do not really understand your route, sir !». Dans les cabines, les filles s’imaginent des scénarios catastrophe en pensant à toutes les histoires de cargos rentrés au port avec des restes de gréement sur le bulbe… Mais très vite, le malentendu est dissipé. Le cargo s’est dérouté pour voir si tout allait bien, suite à un message de détresse diffusé par Navtex. Comme c’est beau la solidarité marine ! Surtout quand on pense aux frais que cela engendre pour ces mastodontes de faire demi-tour. C’est donc ému qu’Igor le remercie plusieurs fois, ce à quoi le capitaine répond que c’est normal «Nous faisons le même métier». Il a été tellement gentil qu’on ne peut pas lui en vouloir d’avoir confondu notre voilier avec le « rowing boat » porté disparu au large des Canaries !

Autre surprise du matin, un poisson volant, le malheureux, n’a pas échappé aux impondérables d’un vol en mer : il a fallu qu’un voilier passe sur sa trajectoire et il n’avait pas de VHF pour éviter la collision. Tamam découvre les plaisirs de la pêche passive ! Tout le monde va mieux, ménage à bord et douches, histoire de chasser l’ambiance chahutée des premiers jours. La mer s’est calmée, le vent aussi faiblit un peu et l’équipage a enfin trouvé son rythme, sauf moi, Diane, qui lutte plus encore que les premiers jours contre des nausées insistantes. Sans doute la préoccupation pour Max m’a-t-elle empêchée d’en souffrir excessivement les premiers jours. Maintenant qu’il est relax à la barre, je n’assure que mon quart et laisse le restant de la vie à bord au soin des trois vaillants…j’adopte la technique du chien : avec 20h de sommeil par jour, ça devrait aller mieux non ? Jour 3, jour 3, … on m’a dit que le mal de mer finirait par passer de toute façon…vivement demain. A la tombée de la nuit, un énorme poisson-volant crée quelque émoi en battant furieusement des ailes dans le cockpit. Il doit bien faire 2 ou 3 kg ! Après quelques essais infructueux, je finis par l’attraper comme un oiseau, en lui écrasant les ailes. D’un geste que je veux ample, je le lance à l’eau…non sans l’avoir assommé contre le portique au passage !

Et le jour 4 ça y est, le temps se met au beau, on peut enfin laisser tomber le pantalon de ciré, du moins la journée, car la nuit, le vent de terre lève un petit clapot qui lèche parfois assez le franc-bord que pour arroser le cockpit ! On n’ouvre donc pas encore trop les hublots, malgré la température qui commence à grimper. Tout le monde est désormais vaillant et on peut enfin « vivre » normalement », dans la mesure où il peut être normal de vivre gîté. On barre, on lit, on joue aux percussions et on fait même des crêpes…le tout à 6, 5-7 nœuds, avec même des pointes à 8 l’air de rien. Un petit avant-goût de la traversée des Alizés ?

Avant-dernier jour, la tension monte ! Il faut assurer la moyenne si on ne veut pas arriver de nuit à Dakar. On sort toute la toile, le vent a faibli. Aujourd’hui, vraie journée bonheur, nettoyage du cockpit et pop-corn… On regretterait presque d’arriver déjà demain, maintenant qu’on a enfin le rythme ! Le vent est calme de jour, puis se met à souffler à 6 parfois 7 Beaufort la nuit. Vers 2h du matin, je me lève pour voir si tout va bien. Dans mon sommeil, je sens le bateau faire des embardées. Je trouve Nora à la barre, debout, à tenir une cadence soutenue. « Tout va bien ? ça chahute un peu non ? ».

« Oui, mais si on veut arriver de jour… ». Ah, il assure notre équipage ! N’empêche que je pousse Igor hors du lit une demi-heure plus tard pour qu’il aille réduire un peu (il est hors quart lui !), le bateau part vraiment dans tous les sens sur une mer clapoteuse. Mais bon, si on veut arriver de jour…

Le dernier jour se lève dans l’excitation…On se réveille tellement il fait chaud dans les cabines ! On se fait doubler à toute allure par le cata de Francis et Anne-Marie, qui participent à Voiles Sans Frontières. Dans un doublage de derrière minute par contre, il passe sur notre ligne…et voilà le second leurre que nous perdons sur cette traversée ! Pas la moindre touche si ce n’est le gros poisson qui a dû avaler notre superbe rapala le second jour ! Il est donc évident qu’on va devoir revoir notre technique de pêche : même pas un misérable thon sur 860 milles d’Atlantique, on n’a jamais entendu ça ! On a beau dire que les océans se vident, il ne faut quand même pas non plus exagérer. Vers 15h, on aperçoit enfin le Cap Vert (à ne pas confondre avec le « îles du»), qui abrite Dakar.

C’est l’effervescence à bord : rangement des cabines, ménage, rinçage du pont. On nettoie même les fonds un peu humides (et surtout très poilus…). On ferle enfin la grande voile, on hisse les pavillons et on sort les appareils photo. Premier contact avec l’Afrique : les barques de pêcheurs qui filent à toute allure au ras de l’eau. Il fait chaud, il fait beau…incroyable, on est en Afrique !

C’est donc complètement déboussolés que nous débarquons après 6 jours au fameux Cercle de la Voile de Dakar, une espèce de village associatif proposant des services aux voiliers de passage. Une ambiance détendue, des voyageurs en attente d’un embarquement, ou comme nous au mouillage, un bar donnant sur l’eau, des hamacs, des mamas africaines qui vendent des beignets de poisson… Comme si on se réveillait ailleurs après une nuit de 6 jours. C’est bien vrai, on est en Afrique !

Mais faudrait pas qu’on reste trop longtemps …