Nostalgies prémonitoires et réjouissances anticipatives

janvier 22, 2009 dans Des Nouvelles de Miss Terre, Deuxième voyage par Eric

Les marins bretons disent de ne jamais prendre la mer un vendredi, mais je me jette à l’eau dans ce blog en ce vendredi 22 août avec l’allégresse d’un nouveau départ, inspiré par notre toute première vraie escapade au Maroc hier.

Nouveau pays, nouveau monde, nouvelle âme. Quand on a essaie de s’imaginer un endroit pendant si longtemps, on peut être très déçu, très agréablement surpris. J’ai petit à petit appris, au cours des voyages, à tenter de ne pas coller une image trop précise sur un endroit inconnu, pour toujours laisser la place à l’émerveillement. Les vagabondages turcs et grecs, hors des sentiers battus, nous ont mené dans des endroits dont la beauté ne se situait pas forcément dans ce que l’on pouvait y voir, mais dans ce que l’on y ressentait. Le Maroc étant à l’instar de la Turquie un pays musulman, je me réjouissais en tout cas d’avance de l’accueil… et je ne me suis pas trompée. On les dit pressants, envahissants… à Marrakech, sûrement. Dans les souks touristiques peut-être…mais à Tanger, Sale ou Rabat, même dans les souks, que des sourires désintéressés et des « bienvenue, tu es chez toi dans mon pays » sincères.

Alors que dire après notre première incursion à vélo… Déjà rien que du bon.

Le gérant de la « marina de la vallée du Bouregreg », fleuve séparant Rabat de Sale et ancien repaire de pirates redoutables, nous avait dit que la vallée n’était pas belle. Le grand projet d’aménagement de la vallée du Bouregreg étalé sur 6 ans lui donnera belle allure. Maquette à l’appui, il nous a montré tous les complexes hôteliers de luxe, les zones résidentielles avec leurs petits pontons et garages à bateau type Floride… Tout beau, tout aseptisé, et affolant… Dans ce pays où le niveau de vie est clairement très bas, qui va bien pouvoir acheter une petite villa de plein pied, et le yacht à moteur qui va avec ? Hmmm, la vallée pas belle, on s’est tout de suite douté qu’on n’avait sans doute pas les mêmes notions de la beauté que ce gérant au demeurant fort affable.

Nous avons donc enfourché nos montures métalliques hier, sous les « whouwhouwhou » enthousiastes de Tamam (c’est un chien, oui) qui attend cela depuis des semaines que nous travaillons comme des fous. A la recherche du lac de Sale, à ne pas confondre avec un lac salé… 6 km d’après le routard. Sous le cagnard, ce sera plus que suffisant pour nous crever un peu. Partis pour une balade, nous ne pensons pas à emmener ni eau, ni crème solaire, ni pompe, ni rustines… L’expérience devrait pourtant m’avoir appris à ne pas m’engager dans une balade même au Bois de la Cambre à 11h du matin avec Igor sans lampe frontale et rations de survie… Qu’à cela ne tienne, l’appel du vélo est trop fort et lorsqu’ après 5 km on se rend compte que le lac ne sera pas à 6 km, rien ne peut plus nous arrêter. Même le chien qui halète déjà bien après cette course sur route rapide et soutenue en redemande encore.

Au Maroc, à chaque carrefour important il y a un policier. Point d’info précieux dans une région où à quelques kilomètres à peine de la cosmopolite Rabat, presque plus personne ne parle le français. Car dans le sac que nous n’avons même pas eu l’intention d’emmener, nous aurions dû penser à mettre une carte aussi… Le policier donc, fort affable lui aussi, nous indique le chemin le plus court jusqu’au lac du barrage : 2 km sur l’autoroute. On se regarde, on le regarde et il éclate de rire devant nos mines effarées : non, ce n’est pas interdit ici de rouler à vélo sur l’autoroute ! Mais comment arriver de l’autre côté (parce que sur l’autoroute, certes, mais en sens inverse, quand même, faut pas pousser…). « Ben, il suffit de traverser.  » Ah, évidemment, vu comme ça… C’est donc sur instigation d’un policier que nous risquons notre vie, celle du chien et celle des conducteurs qui pourraient bien faire un écart en nous voyant, que nous traversons les 4 bandes de cette autoroute tout ce qu’il y a de plus standard, avec ses bons 120 km/h comme partout. Arrêt « soldat d’Alice au Pays des Merveilles », c’est-à-dire qu’on se met de profil en espérant s’aplatir comme des cartes à jouer, sur le terre-plein de 1m de large entre les deux sens de la route… Dire que chez nous on signale même à la radio les chiens errants sur les bords de l’E 411 !

Tronçon de route fort désagréable, en montée, mais qui nous permet de repérer qu’on fera la descente par un charmant sentier qui se trouve plus loin dans une vallée escarpée. Beau VTT en perspective. Il fallait bien cette motivation-là pour continuer sur cette route infâme, dépassés à 120 à l’heure par tout ce qui se fait de plus bruyant et puant sur cette terre. Puis, enfin, le fameux rond point, et le premier vrai plongeon dans le Maroc tel qu’il est. Ici, même si on ne parle pas français, on veut nous aider. Le premier papy rencontré enfourche son vélo pour nous mener au bon embranchement. Ensuite, comme en Turquie, à quelques centaines de mètres de l’autoroute, les gens se déplacent en carriole à mule… comme depuis la nuit des temps. Pour notre plus grand bonheur, car qui dit mules, dit sentiers pour VTT ! Les 6 km en sont devenus au moins 12, et la température ne cesse de grimper (nous nous éloignons de la côte). Tiens, on commence à penser à cette bouteille d’eau qu’on aurait peut-être dû…

Passent encore quelques kilomètres…le chien lui au moins pourra boire dans le lac… puis enfin, au détour d’un virage, après moult « Salam » ! (bonjour) et « Lebez » (ça va). Je m’aperçois que si je ne connais que 3 mots d’arabe (pardon, 4), je parviens quand même à m’emmêler les pinceaux en disant chaque fois Beslama (càd au revoir) au lieu de bonjour. Un tic qui j’aurai plus vite pris que désappris… Le lac est là-bas, tout en bas… Les kilomètres qui se sont dédoublés, et la vue de cette descente qui irrémédiablement à un moment certain dans l’avenir deviendra une montée nous fait hésiter juste une fraction de seconde. Mais le bruit du refroidissement à l’air canin nous fait vite nous mettre en suspension et couper à travers champs pour débouler sur les rives du lac du barrage. Ici encore, on nous salue, on nous félicite (pourquoi ? d’exister peut-être !), on rit de ce chien que nous trimbalons partout avec nous et qui fait des sauts de carpe dans l’eau, toute fatigue oubliée.

A cette saison, le niveau de l’eau a bien baissé, car il s’agit d’une réserve en eau potable. A notre grand étonnement, on découvre dans le sable des coquillages de taille respectable en plus. L’un d’eux est même encore habité… Ni Igor ni moi, dont la connaissance en matière de mollusques il est vrai n’est pas exactement proverbiale, nous étonnons très fortement de trouver des mollusques de cette taille dans de l’eau douce, et dans un lac artificiel de surcroît… Ils ont peut-être été introduits? En tout cas, à la vue de la taille de l’un d’eux (un bon 20 cm de coquille), l’idée d’un coquillage nucléaire m’effleure un instant l’esprit…mais les ébats joyeux de notre copine à 4 pattes, la gentillesse des habitants et le cadre magnifique chassent vite ces idées saugrenues.

Qui dit barrage, dit rivière retenue. qui dit rivière retenue, dit rivière qui descend en contrebas…et qui dit rivière qui descend, dit qu’elle arrivera forcément à la mer et ce, par le Bouregreg sur lequel nous sommes justement amarrés avec Miss Terre. Ce serait une belle aubaine de ne pas devoir remonter cette horrible pente en longeant le petit pipi qui coule du barrage au Bouregreg…sauf que, comme nous l’apprend un policier un peu obtus, le lac du barrage (c’est carrément son nom) ne se trouve en réalité pas sur un barrage… C’est un bassin d’orage ! Bon, certes, ça rime, mais évidemment, au niveau du projet de descendre au lieu de remonter, pour nous, c’est râpé. Un peu comme le fond de la gorge, qui commence à réclamer un peu de liquide…

Courageusement, on reprend nos chevaux de métal pour remonter par un sentier (de mules), poursuivis régulièrement par des meutes de chiens « domestiques » au sens fermier du terme. C’est-à-dire nés près d’une maison et restés là avec maman et papa tant qu’il y avait assez à manger des restes de la famille humaine. Ils aboient mais ont peur des hommes qui en guise de contact leur envoient des pierres. Mais en matière de sonnette, on a rarement fait plus efficace. Heureusement donc, ils ne sont pas agressifs et Tamam a bien compris que tout irait bien tant qu’elle les nierait, sans surtout mettre la queue entre les jambes (oui, les chiens c’est pas sympa, ils attaquent quand ils voient que l’autre a peur…un peu genre « il ne doit pas avoir la conscience tranquille celui-là »). Bref, elle améliore ses connaissances du langage chien marocain. Cette montée certes raide nous a fait faire un beau raccourci et très vite, on rejoint la piste que l’on voyait depuis l’autoroute en montée… une jolie descente malgré les « y a pas de toute par là » des gentils paysans. On ne parle toujours pas l’arabe, mais il est des gestes qui sont tout aussi parlants… Comme souvent, les gens veulent nous renvoyer sur les routes asphaltées avec nos vélos, ne connaissant pas les talents tout-terrain de nos farouches montures. Il est vrai aussi que je ne ferais pas forcément les mêmes choses avec les vélos que l’on a croisés… Bref, petite descente « technique », sous -entendant que moi j’ai beaucoup marché pendant qu’Igor et Tamam s’en donnaient à coeur joie. On rejoint même une piste qui longe le Bouregreg… si on avait su à l’aller !

Si on avait su avant de partir aussi que c’est précisément à cet endroit que le pneu avant d’Igor déciderait de nous lâcher, on aurait peut-être fait ce sac finalement. Aie, nous voilà en pleine brousse (enfin, l’autoroute est tout près et il y a des gens partout à quelques centaines de mètres). Une chose est sûre, maintenant que cette toute petite escapade nous a persuadés de partir à vélo (malgré les c’est trop chauds dissuasifs de tout le monde), ce n’est pas le moment de foutre en l’air la toute nouvelle jante d’Igor. On croise quelques jeunes pêcheurs en deux roues motorisés ou non, mais pas de pompes ni rustines… ou plutôt, pas de pompe correspondante ! Même ici les embouts « propriétaires » des marques viennent nous jouer des tours ! Nous, on a un embout tout ce qu’il y a de plus standard, gros…mais le gars, lui, ben il en a un petit. Idiot ! De toute manière, gonfler ne nous avancerait pas beaucoup vu la vitesse à laquelle le pneu se vide. 3 jeunes sur une moto (oui 3 sur une seule) nous annoncent qu’il y a un « cycliste » (nous comprenons bien entendu qu’il s’agit de ce que nous appellerions ridiculement vélociste) sur la route de Sale, où nous allons ! après un marchandage sur le nombre de kilomètres, on finit par tomber d’accord sur 1,5… Tant pis pour le retour le long du Bouregreg, on se réengage sur la route asphaltée. Je pars devant pour essayer de repérer ce fameux dieu du cycle promis. Et effectivement, on ne l’avait pas vu à l’aller car on ne le cherchait pas sans doute… un gars répare justement la roue arrière d’une mobylette comme on n’en voit plus chez nous depuis « Les sous-doués à l’école ». Oui, rustines il a, oui, pompe aussi. Je retourne donc en arrière prévenir Igor de son arrivée, et je me retrouve 1 min plus tard de retour chez le vélociste annonçant que ce n’est pas la peine qu’il se déplace, Igor est déjà là. Le voilà qu’il arrive avec son attelage. Assis sur le porte-bagage pour mettre le poids sur l’arrière, et tiré par notre blonde Husky toujours aussi fringante. Pas vraiment un chien de garde, mais question attelage, elle sait y faire. 5 minutes plus tard, le pneu est réparé. Petite séquence « émotion » lorsque nous voyons 2 des 3 gaillards de « la moto à 3 » revenus à notre rencontre avec une pompe… ! Merci les gars ! Même le vélociste est touché par cette sollicitude et émet un grognement approbateur. L’addition ? Il ne dit rien et accepte sans regarder les quelques dirhams qu’Igor lui faufile dans les mains. Sans regarder… c’est pas beau ça ? Il nous a dépannés et n’a en réalité pas envie de nous demander des sous. Mais en même temps, son rouleau de rustine, on l’a utilisé…

On ré-enfourche nos vélos et après quelques culs de sac et un renvoi désagréable par une paysanne sans doute déjà trop ennuyée par les gens de la grande ville, on retrouve des pistes entre la route et le Bouregreg, dont la vallée s’étend maintenant sur au moins un kilomètre de large. Sur l’autre rive, escarpée, une ville. Et au loin, devant nous, la tour du mausolée de Mohammed V et Hassan II, que l’on voit aussi depuis le bateau. La maison, c’est par là ! Et là commence sans doute le passage le plus délectable de cette excursion… pistes sans fin, chevaux moutons, fermes, chiens, rivière au loin et la lumière qui se met à jouer avec des fils d’or… Nous voilà dans la partie de la vallée condamnée à très court terme à se faire bétonner. Ici vivent des familles de presque rien, mais sans doute avec ce qu’il faut : un bout de terre pour cultiver et faire paître les bêtes, de l’espace pour toutes la famille et le troupeau, et puis de l’horizon aussi… Mieux vaut qu’on ne revienne pas dans quelques années, quand le superbe projet de l’aménagement de la vallée du Bouregreg aura tout gâché… Petite nostalgie anticipative…

Conclusion de cette première escapade : le Maroc est beau. Dans les villes, certes, les odeurs et déchets jonchant les rues rebutent les yeux et les narines. Mais le bel agencement des espaces dans la vallée, avec de jolis champs en friche mais proprets, des fermes en carré éparpillées, des troupeaux de moutons et quelques chevaux pour agrémenter le paysage, des Salam et sourires en guise de laissez-passer et des aboiements de chien pour égayer le tout nous rappellent que la vraie vie se fait là, dehors et qu’elle nous promet de belles émotions pour notre escapade à venir.

On hésitait à randonner à pied ou à vélo dans le Haut ou Moyen Atlas… là, le choix s’est imposé tout seul ! A l’unanimité, va pour le Maroc à vélo, et tant pis s’il fait chaud ! On se réjouit d’avance !