…et menues aventures humaines !

janvier 19, 2009 dans Des Nouvelles de Miss Terre, Deuxième voyage par Eric

sinesaloum1Mame Mor nous a servi, à Coriolis et nous-mêmes, de guide improvisé pendant une semaine avant que nous rejoignions la mission ANIMA du Dr. Menguy à Ziguinchor. Le but était qu’il nous fasse rencontrer Ousin, l’agent de santé de Dionewar, son village d’adoption, afin que nous discutions avec lui des bénéfices et résultats de la mission Voiles Sans Frontières venue précédemment.
Mais le charmant enfant du pays, bien que piètre marin, s’est avéré un véritable sésame pour nous permettre de découvrir la vie africaine plus intime. Et comme on le pressentait, dans cette vie-là, le pire et le meilleur se côtoient, une chose et son contraire s’entremêlent, charisme, sagesse, traditions ancestrales et magie se mélangent aux embrouilles, bidouillages et prémices de la modernité… un peu à l’image de notre Mame Mor finalement !

 

La famille élastique

Epithète classique mais ô combien adapté ! A Dionewar, Mame Mor nous invite à rencontrer sa mère et son père. Au rythme des salutations, nous en sommes très vite à 5 pères et autant de mères, sans parler des sœurs et frères qui apparemment forment l’essentiel des habitants du village. Et encore, on n’a fait que deux ruelles ! Nous n’y comprenons rien, et pourtant, d’après Mame Mor, c’est très simple: tous les frères de son père sont ses pères, et toutes les sœurs de sa mère (enfin je crois) sont ses mères. Evidemment, les frères de sa mère sont ses oncles, tout comme les sœurs de son père sont ses tantes. Ses sœurs sont en réalité ses cousines, de même pour les frères, sauf celui-ci tiens ! qui est son vrai frère aîné. Sans parler de ses amis proches, qui sont ses frères aussi. En fin d’explication, nous comprenons que son vrai père et sa vraie mère n’habitent même pas ici ! Pas d’impair diplomatique donc, nous saluons tout le monde à la même échelle. De partout fusent des «Mame Mor» langoureux, notre ami ne laissant pas impassible la gent féminine. D’ailleurs le moussaillon honteux de l’échouage de la veille s’est transformé en lion en rut : il rayonne et rugit, il règne même, un vrai plaisir à voir ! La journée se termine au stade de lutte en plein tournoi. Le choc ! La puissance des combattants, les chants, le djembé et l’obscurité, les cris, …une ambiance presque angoissante, en tout cas d’une puissance inouïe. Des grigris circulent. Pas de doute, outre une force ancestrale, la magie est à l’ œuvre ! Mis à part le grésillement du haut-parleur et l’aveuglante lumière électrique, voilà un sport qui n’a pas changé depuis des siècles, voire plus …

Quant au village, une vraie révélation. Chaque cour de maison a deux entrées, afin de permettre aux passants que cela arrangerait de couper par là si cela s’avère plus court de que prendre la piste. Autant dire que la notion de propriété et d’intimité n’a rien à voir avec nos cloisonnements européens. D’ailleurs, pour les repas, chaque famille pose un plat dans la «case à palabres», au centre du village, équivalent au nombre de jeunes que comporte sa maisonnée. Tous les jeunes gens (comprenez masculins) du village s’y réuniront et mangeront dans le plat qui se trouve à leur portée. La génération au-dessus se donne des rendez-vous sous les baobabs ou autres palmiers pour partager eux aussi des plats communs, idem pour les femmes et les enfants qui semblent réunis au hasard de leurs jeux… Inutile de s’étonner dès lors de la cohésion sociale et de la solidarité ambiante. Avec ses avantages évidemment, mais comme toujours, quelques désagréments que notre Mame Mor nous dévoilera consciemment, mais également malgré lui ! Il est sage pour son âge, mais cette petite escapade avec nous révèlera tant à nous qu’à lui-même qu’il a tout son temps pour devenir président, Mame Mor !

La fête…

Mame Mor nous présente dès notre arrivée son frère (ami, précisons…) Mady. Comme Mame Mor, Mady est bien décidé à faire quelque chose ici, au Sénégal. Personnellement touchés par le problème de l’immigration clandestine avec notre ami Konta (dont nous venons d’apprendre qu’il a été envoyé à Madrid avec un avis d’expulsion, où il va faire 40 jours de prison), nous ne pouvons qu’applaudir ces jeunes gars ambitieux, qui croient en leur pays. Mady a construit une cabane pour accueillir les touristes qui seraient lassés de la volupté de l’hôtel grand luxe de Dionewar. Bel endroit, gars sympathique, nous sommes donc intéressés lorsqu’il propose de faire une fête« On est ensemble quoi »… Du Djembé ? Super, on en a un à bord, on viendra les rejoindre plus tard pour jouer. Et là, un ange passe. Parce qu’en réalité, ils ne vont pas faire la fête eux….en réalité, il veut nous organiser une fête (comprendre acheter à boire et à manger), où il demandera à des amis de venir « taper » du djembé, pour nous. Nous qui n’avons pas trop l’habitude de « payer » pour « être divertis », nous net palabres...ous cabrons. Mais la force de persuasion de Mame Mor (d’où le surnom futur président du Sénégal…) est redoutable, et au cours de la soirée, il parvient à nous convaincre que 20.000 Francs CFA /pers. pour une langouste chacun plus du poisson pour les joueurs de djembé et de la boisson pour tous, ce n’est pas cher. Il va sans dire que le chacun désigne les 4 toubabs, nous, et que les joueurs de djembé seront irrémédiablement très nombreux. En gros, on paie à 4 la fête pour tous, à un prix exorbitant. La nuit porte conseil, et le petit-déjeuner se déroule en palabres et discussions animées. Entre Igor et Mame Mor, j’ai les oreilles qui bourdonnent, tous deux manient l’oraison avec dextérité. On conclut enfin un accord, que Yann et Elsa approuvent : comme c’est très cher, on va trouver un bon prétexte. On va inviter Samba qui sera l’invité d’honneur (voir le bulletin précédent). Ce sera une belle façon de le remercier pour tout ce qu’il a fait pour nous. On se fait rouler, peut-être, mais au moins le faisons-nous consciemment et avec une raison que nous trouvons acceptable. Nous n’annulons rien, Mame Mor ne déçoit pas son ami, les amis de son ami auront à boire et à manger à l’œil et Samba sera invité d’honneur… tout le monde est content. Reste que, au fil de la journée, notre envie de fête s’amenuise à mesure que les tenants et aboutissants se révèlent: outre le fait que nous payons la fête, il s’avère que Yann doit prêter son zodiac pour les courses à 4 miles de là, qu’outre unpalabres... aller-retour (que nous ne ferions jamais nous-mêmes au prix écologique et financier de l’essence), il s’avère qu’ils comptent en faire un second pour les langoustes. Qu’apparemment, nous allons cuisiner nous-mêmes à bord de Miss Terre et, c’est le summum, que Samba n’a pas été prévenu. Pour un invité d’honneur, c’est ennuyeux. A la fin de la journée, il s’avère qu’il comptait rentrer chez lui et que ça ne l’arrange pas ce soir. Malaise ! Nous, on a accepté cette fête à condition qu’elle soit en l’honneur de Samba, mais il semblerait qu’au niveau de la mise en pratique, il y a quelques accrocs. Mame Mor nous assure que s’il insiste, Samba changera sûrement ses projets pour lui faire plaisir ! Alors là, vraiment, on n’en croit pas nos oreilles : Mady veut faire une fête pour nous qui devons tout payer et tout prévoir, et l’invité que nous voulons d’honneur se forcera à venir par fidélité à son frère (enfin ami) Mame Mor… Dans le genre non spontané, on n’a jamais fait mieux. L’envie de faire la fête, déjà passablement forcée, s’estompe carrément, et il est donc 17h lorsque nous demandons à Mame Mor de tout annuler. Les langoustes ne sont pas encore achetées de toute façon et pour ce qui est des légumes et boissons, on se les partagera entre les deux pirogues bigarréesbateaux. Ok, bien sûr, sauf que « l’argent a déjà été dépensé ». D’accord, les légumes, le poisson, les boissons…mais les langoustes sont toujours à l’autre village, non ? «Mais on les a déjà payées». Irrémédiablement on se sent donc emberlificotés dans une histoire impossible : il n’y aura donc ni fête, ni remboursement, ni d’ailleurs langoustes apparemment, dont on n’avait déjà que faire au départ. Ce n’est que 3 jours après qu’on finira par récupérer l’argent, non sans soupçonner Mame Mor d’avoir à assumer financièrement les frasques de son «frère». Nous entrevoyons là un autre aspect de la solidarité africaine : si tu réussis, tu es redevable à ton entourage. Il faut que cette richesse rejaillisse sur eux. Interdit de dire que tu rames, si tu parviens à (donner l’impression de) réussir, pas de marche-arrière possible. Tu as tous les égards mais en échange, tu as des obligations. Au mieux, nous explique d’ailleurs Mame Mor, tu te trouves à payer les frais médicaux de tes oncles, au pire, les bigoudis de tes cousines, mais sous aucun prétexte tu ne vas leur dire que tu n’as en réalité pas d’argent… Spirale infernale, et sûrement un frein aussi pour de jeunes gens ambitieux. Mame Mor a tous les atours du gars qui réussit, il se crée un réseau, mais sa réussite n’est pas encore financière, contrairement à ce que pense son entourage. Nous résistons au remords de se dire que les 30.000 FCFA qu’il nous rembourse grèvent sans doute irrémédiablement sa très maigre fortune personnelle… Ce petit périple prend une allure de leçon de vie pour Mame Mor : d’abord l’échouage, qui lui aura fait passer l’envie de jouer au piloteQuelques mères de Mame Mor... improvisé trop sûr de lui entre les bancs de sable, puis cette fête avortée qui aura fini par lui coûter de l’argent et qui aura failli aussi entacher fameusement la confiance qui s’établissait entre nous…Mais l’Afrique, une fois de plus, c’est tout et son contraire, et le lendemain, la situation s’inverse du tout au tout !

Dionewar, c’est là que je suis né…

Mame Mor, comme prévu, nous emmène à la rencontre de Ousin, l’agent de santé de Dionewar. Le dispensaire est pour le moins rudimentaire, mais Ousin semble y régner en maître. Il ne tarit pas d’éloges sur les bienfaits de la mission Voiles sans Frontières. (Un autre article est consacré à cet aspect-là de notre voyage). Mame Mor nous a invité à manger chez sa mère (enfin, sa tante), où nous sommes accueillis en invités de marque. Est-ce bien le même Mame Mor qui nous a entraînés dans une embrouille foireuse pour faire faire un peu de bénef à ses potes ? Aujourd’hui, rien à voir, il nous fait l’honneur de nous inviter, et ses cousines enfin, sœurs,  s’avèrent tout aussisinesaloum10 honorées que nous de nous recevoir. Même le chien est le bienvenu ! On met les petits plats dans les grands : riz au poulet et légumes frais, soit un plat de fête dans ces contrées où le tiéboudiène (riz au poisson) est de rigueur à presque chaque repas. La viande est un luxe et signe de grandes occasions. Nous voilà flattés, gênés, confus. La sœur de Mame Mor nous confie même qu’elle ne voudrait pas nous faire payer pour effectuer des travaux de couture (c’est son métier) . « C’est impensable, vous êtes presque de la famille » dit-elle en rougissant… Alors là, qui l’eut cru ? Hier encore on se sentait vache-à-lait, pas respectés, juste bon àPain au lait nominatif ! dépenser nos sous. Aujourd’hui, il s’avère que Mame Mor nous reçoit en rois. Rattrapage ? Ou était-ce prévu d’avance ? En tout cas, pas de malaise de son côté, rien d’anormal à nous recevoir comme il le fait tout en fomentant hier encore des plans invraisemblables avec son Mady… Confus mais touchés, nous nous délectons du pain au lait confectionné spécialement pour nous (avec notre nom !) par son « frère boulanger ».

Les rues du village, tapissées de coquillagesDionewar aura été une étape rare, enchanteresse et contrastée. Première rencontre avec l’Afrique ( dans la mesure ou Dakar n’a pas grande chose à voir avec ce que nous venons de vivre). Sur le sol tapissé de coquillages blancs, nous aurons goûté dans ce village un peu de vie africaine. Ancestralité de la lutte, exotisme de la papaye fraîche (et bonne tiens, ça existe !), inventivité du rap local (Mame mor est «agent» de son groupe Diamano Clan !), magie, sagesse, et cohésion sociale mais complexité des rapports humains…ô combien attachant et envoûtant ! Oui, un peu comme Mame Mor…